Deuil périnatal

Nous partageons ici un livre et un blog sur la perte d’un enfant au moment de sa naissance.

Voici le texte de présentation de “MARIE-KERGUELEN, Histoire d’un deuil périnatal”, un livre de Gaëlle Brunetaud :

“Il est des événements dont on ne guérit pas.
On les porte en soi pour toujours On croit que le temps passe, qu’il lisse l’effroi.
On croît qu’on a sublimé l’épreuve, qu’on l’a dépassée, oubliée. Pourtant, le mal est fait, et, au plus profond de soi, la douleur est intacte. Le cœur, déséquilibré, ne bat plus pareil. Une fenêtre est béante, le vent s’y engouffre, la vie s’y dérobe. On est glacé. On est perdu. Une part de soi s’est enfuie. On est fragilisé à jamais, en manque pour toujours. En soi, désormais, quelque chose n’attend plus que la fin. Il faut peut-être plonger profond pour trouver la source de sa vie.
En laissant ma fille s’envoler, j’ai trouvé une pierre précieuse, une petite flamme qui s’apparente au cristal de l’âme…”

Prenez le temps d’explorer les liens suivants pour mieux découvrir ce texte :
Le livre sur le site de l’Harmattan ainsi que le blog de l’auteure.

Gaëlle Brunetaud nous a confié ces extraits choisis de “Marie-Kerguelen” :

Aussi loin que je me souvienne, je porte en moi la maternité comme un bonheur sacré.
A sept ans, c’est avec une fierté de reine que j’emmenais mon petit frère à l’école. Je tenais par la main le plus grand trésor de l’humanité.
Mon petit frère … Nous passions sur la route sans la toucher. Nous n’entendions rien du dehors. Nous ne reconnaissions personne. Nous ne parlions qu’entre nous. A l’heure de la sieste, j’entrais dans l’école maternelle pour glisser mon frère dans son lit. Debout à côté de lui, je le veillais comme une mère, comme une louve. Je restais figée sur son souffle jusqu’à ce qu’il s’endorme. Ma classe pouvait attendre. Rien ne comptait plus que le sommeil de mon petit frère. Rien ne comptait plus que mon rôle de petite mère. Rien ne comptait plus que mon amour pour l’enfant qu’il était, pour l’homme qu’il deviendrait. Je voulais être celle qui éveille les enfants, celle qui les porte dans la vie, celle qui les soutient jusqu’à l’envol, celle qui les guide sur le chemin du bonheur.

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Je suis enceinte.
D’autres diraient : « j’attends un enfant ».
Mais quelque chose en moi refuse l’attente.
Je sens une petite âme prendre place, je vis ce miracle de chaque instant, j’observe la vie qui pousse en moi. Je dialogue avec ce petit être qui me tient compagnie, et avec qui je ferai, si Dieu le veut, un bout de chemin. Je l’aide à grandir du mieux que je peux. De tout mon cœur.
Je remercie la vie. A chaque instant, je remercie la pluie, je remercie le soleil, je remercie les étoiles, je remercie le froid, le chaud, le bruit, le silence, le jour, la nuit…
Je remercie le ciel. Et je prie. Mes heures sont une douce prière pleine de joie et mes jours sont remplis de lumière.
Un mois passe dans la douce exaltation. Puis vient le jour de la confirmation à l’échographie : mon ventre couve une petite merveille de quatre millimètres. Son cœur en battant forme un mouvement d’étoile.
Je suis enceinte d’une étoile et c’est bientôt Noël.

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J’ai attendu le train tellement longtemps que j’ai cru qu’il n’allait jamais venir. En montant enfin dans la rame que je croyais vide, j’ai été surprise par un homme plié en deux sur une vieille banquette en skaï orange. Il serrait ses jambes contre sa poitrine pour cacher ses larmes et son visage bouffi. Il était parcouru de sanglots. Je ne pouvais lui offrir qu’un regard doux ; j’aurais voulu le soigner rien qu’en le touchant des yeux. Je me suis installée à distance raisonnable, la seule qui permette l’apprivoisement. Pas trop près pour ne pas l’effrayer, pas trop loin pour qu’il perçoive ma proximité discrète.
Et pendant tout le trajet, je n’ai pas cessé de prendre soin de lui en l’enveloppant du regard. De temps en temps, l’homme aux yeux rouges sortait les yeux de sa caverne et m’offrait sa tristesse. Alors je redoublais de compassion. Je me suis courbée vers lui, les deux mains jointes dans une sorte de prière silencieuse. Je ne bougeais pas. J’étais captivée par cet homme en sanglots.
Puis ma station est arrivée et je me suis levée. Je lui ai tendu les mains, pas pour qu’il les saisisse, mais seulement pour les lui offrir, et puis je lui ai dit quelques mots. Il m’a souri, et je lui ai offert mon plus beau regard de paix.
Bizarrement, à cet instant, ce n’est pas lui, mais moi qui étais en train de guérir de quelque chose. J’ai pris sa peine, il a pris la mienne, et nous avons laissé le sac de douleur fondre dans le crissement des roues du train sur les rails.