Enquête aux Archives Freud

Nous profitons du calme de l’été pour avancer nos projets éditoriaux à grands pas. Parmi ces projets, je suis particulièrement heureuse de la (ré)-édition du livre de Jeffrey Masson sur la psychanalyse. L’édition 2012 est largement augmentée par rapport à l’édition 1984, le matériel présenté est particulièrement intéressant.

La traduction approche de sa fin, la souscription est ouverte. En attendant, je ne résisterai pas au plaisir de régulièrement partager sur ce blog nos impressions (ce livre suscite de nombreux échanges au sein de notre équipe) et quelques extraits du texte.

Voici pour commencer un dialogue issu de nos échanges par e-mail, et qui vous donne un aperçu de ce dont traite le livre…

Emma Eckstein

Emma Eckstein

Question :
Je ne comprends pas trop l’histoire d’Emma Eckstein.  Elle était suivie par Freud pour hystérie et avait un problème dans la cavité nasale, c’est bien cela ? Il est écrit quand même que ses lésions avaient une odeur fétide Oo
Alors, je ne comprends pas pourquoi on parle des deux choses, ses lésions d’une part, et du fait qu’elle était traitée pour hystérie… Les deux peuvent être liés ?

Réponse :
De ce que j’ai suivi, Emma Eckstein était effectivement suivie pour hystérie (En fait, cycles irréguliers et douleurs abdominales ! Soit-disant causées par la masturbation, ah ah ah, bref). Fliess, l’ami de Freud, qui était ORL, a trouvé un lien anatomique entre le nez et les organes sexuels, et il était supposé pouvoir guérir les troubles sexuels ou liés aux organes sexuels par une opération du nez… Opération que la pauvre Emma Eckstein a subie. Fliess a oublié un pansement dans son nez, d’où pas de guérison, infections (et odeur !), hémorragie and co (Fab dit que Emma Eckstein était en plus hémophile, et peut-être souffrait d’endométriose). Elle a failli y rester plusieurs fois, elle a été défigurée par l’opération, et bien entendu aucune amélioration de ses autres problèmes. D’autres médecins l’ont soignée in extremis, et il y a eu un mic-mac entre Freud et Fliess d’un coté et les autres toubibs de l’autre coté, concernant l’erreur médicale patente que Freud refuse d’imputer à son ami Fliess, qui lui-même refuse de la reconnaitre.
A noter quand même qu’on trouve des passages de médecins contemporains, cités dans les lettres de Freud/Fliess (ou des références à eux), médecins qui ont critiqué les livres de Fliess et ses théories hallucinantes sur les liens nez-organes génitaux, donc même à l’époque, certains avaient malgré tout du bon sens…

Revue de presse : Le Monde, « Européennes, diplômées et femmes au foyer »

Un livre pour réfléchir sur le soin porté à autrui

Un livre pour réfléchir sur le soin porté à autrui

Lu hier dans le Monde, cet article au titre claquant « Européennes, diplômées et femmes au foyer » (http://www.lemonde.fr/idees/article/2012/08/03/europeennes-diplomees-et-femmes-au-foyer_1742099_3232.html).

Il est signé de Birgitta Ohlsson, ministre suédoise des affaires européennes et, précise complaisamment Le Monde membre des « Jeunes dirigeants du monde 2012 désignés par le Forum économique mondial ».

La sobriété du titre de cet article souligne paradoxalement l’anormalité de cette situation, « femmes au foyer » et « diplômées », du moins aux yeux de cette femme politique. Si les inégalités salariales entre hommes et femmes, ou la part dérisoire de femmes ayant des responsabilités politiques sont des problèmes réels, et de vraies luttes encore à mener, l’approche purement capitaliste du reste de la démonstration fait froid dans le dos : car en effet, « 76 % des hommes, en moyenne, sont présents sur le marché du travail tandis que les femmes ne le sont qu’à hauteur de 62 % ». Et, d’après « un rapport de recherche, publié par l’université d’Umeå (Suède), (…), si les femmes étaient aussi nombreuses que les hommes sur le marché du travail, le revenu national brut de l’Union Européenne pourrait augmenter de 27 %. » Que ne se jette-on pas sur cette possibilité d’ augmentation si désirable du « revenu national brut de l’Union Européenne », en effet ?

Mais les empêcheurs d’augmentation des revenus sont toujours les mêmes : les enfants, et les personnes âgées, auxquels les femmes consacrent un temps et des « compétences » qui ainsi « ne sont pas mises à profit » (car bien sûr, mettre des compétences acquises à travers une formation universitaire au service de ses proches, de son développement personnel, ne profite pas au PIB, et n’est donc pas mis à profit.)

Birgitta Ohlsson a heureusement réfléchi à des solutions : tout d’abord, « un accueil de qualité ne doit pas être un privilège mais un service auquel tout parent doit avoir accès. Il doit être rentable de travailler, même après avoir eu des enfants. Voilà pourquoi le coût de l’accueil de l’enfance doit être subventionné ou déductible. »

Plusieurs commentaires ici : la rentabilité ne se conçoit bien sûr que financièrement, il n’est pas question de la fatigue ou de la distance affective, qui ont pourtant bel et bien un coût. Les subventions ou la déductibilité sont d’ailleurs des coûts, et il est inquiétant qu’une personne qualifiée de « jeune dirigeant du monde » ne s’en aperçoive pas : des services de garde « de qualité » ont un coût sans commune mesure avec une garde familiale, et ce coût devra bien être assumé par quelqu’un. L’Etat, c’est-à-dire les citoyens, parents ou pas ? Les entreprises, au détriment donc de leur compétitivité, ou des salaires des employés, les obligeant à travailler plus pour que leur travail soit rentable, et donc accroissant leurs besoins de garde, donc leurs coûts, et… ?  Et encore, il ne s’agit que d’un raisonnement économique, faisant abstraction des coûts affectifs de cette situation.

De la même façon, s’insurge, Birgitta Ohlsson, «  l’assistance aux personnes âgées devrait être améliorée et renforcée. Aujourd’hui, il est fréquent que des femmes aient la responsabilité de la prise en charge, bénévole, de leurs parents. » Qui va prendre en charge cette assistance, physiquement et émotionnellement difficile ? A quel coût, pour qu’elle soit de qualité ? Et qui va payer, une nouvelle fois ?

Ces déclarations d’intention relèvent entièrement du genre bureaucratique ; on a envie de renvoyer Birgitta Ohlsson aux travaux pionniers des sociologues américaines du care (pour une première approche du sujet, voir Qu’est-ce que le care ? Souci des autres, sensibilité, responsabilité, de Pascale Molinier, Sandra Laugier et Patricia Paperman, Payot, 2009) pour qu’elle ait une chance de comprendre ce que recouvre réellement la dimension de la prise en charge des personnes faibles et dépendantes.

Car si les femmes diplômées participent à l’escalade économique au même titre que les hommes (alors que tous devraient plutôt chercher à en sortir), il faudra bien que d’autres se chargent de leurs tâches familiales : d’autres femmes, moins diplômées forcément, immigrées peut-être (la famille de ces femmes étant ainsi privée de leur présence…), rendant ainsi fort compliquée la prise en charge de qualité. Birgitta Ohlsson ne semble pas voir en effet que la qualité relationnelle est une compétence de haut niveau, encore plus quand elle doit être mise en œuvre face à des personnes étrangères sur le plan affectif. Elle ne s’impose pas d’un décret européen, fût-ce au nom des impératifs de croissance.

Enfin, la proposition d’une imposition individuelle, pour empêcher les femmes de « dépendre » du père de leurs enfants, est aussi une attaque envers les liens que les personnes peuvent vouloir créer entre elles, là où la réalité des besoins humains refuse de céder, toujours elle, à la « rationalité » des contraintes économiques.

Si le féminisme, c’est se soumettre à des valeurs uniquement marchandes, alors c’est  échanger une servitude contre une autre. C’est un meilleur partage du soin qu’il faut viser, pas un meilleur partage d’une lutte économique absurde et destructrice.

Être et devenir, un prochain film de Clara Bellar

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Clara Bellar, actrice, réalisatrice, maman non-sco sur plusieurs continents et dans plusieurs langues, explore d’une façon passionnante les questionnements des parents qui envisagent de ne pas scolariser leur enfant pour choisir un chemin d’apprentissage autonome. Elle interroge de multiples interlocuteurs très intéressants qui abordent de nombreux points : l’efficacité des apprentissages lorsqu’ils font sens car choisis par l’enfant, la place des parents accompagnateurs (dont la qualité principale est l’envie de découvrir avec leur enfant, pas les diplômes), la procédure d’entrée ouverte par des universités américaines pour les étudiants sans dossier scolaire, en raison de leurs qualités (curiosité, autonomie), etc.
On peut voir la superbe bande annonce dans la partie “Vidéo” et s’inscrire pour être tenu au courant de la sortie du film.