No mammo ? Enquête sur le dépistage du cancer du sein, Rachel Campergue, éditions Max Milo, 2011

51je-v0ex3l_ss500_1 No mammo ? Rachel Campergue est kinésithérapeute ; elle est aussi vidéaste, engagée dans la préservation de la faune polynésienne. C’est en tant que simple patiente orientée « mécaniquement » vers le dépistage du cancer du sein par mammographie qu’elle s’est interrogée sur cet examen : son historique, ses résultats, ses risques et ses bénéfices ; ainsi que plus largement sur ce que représente, dans les sociétés occidentales, le cancer du sein.
Le résultat est un livre de presque 500 pages, extrêmement documenté, très facile à lire malgré quelques longueurs qu’on lui pardonne bien volontiers, tant Rachel Campergue fait œuvre utile et admirable. (Point de vue que partage le médecin généraliste blogueur Docteur du 16, en qualifiant l’ouvrage de Rachel Campergue de « livre de référence ». Je renvoie à l’excellente note qu’il y a consacrée pour les références médicales précises : http://docteurdu16.blogspot.fr/2011/11/no-mammo-de-rachel-campergue-un-livre.html).
Rachel Campergue commence par un décryptage du marketing indécent autour d’ « Octobre Rose », puisque ce mois est consacré dans de nombreux pays à la promotion quasiment publicitaire des mammographies de dépistage ; de nombreuses marques se raccrochent opportunément à cet événement pour améliorer leur image, en se contentant de rosir (littéralement) leurs emballages ou leurs produits, et de reverser un pourcentage ridicule de leurs bénéfices à des associations de lutte contre le cancer du sein, dont Rachel Campergue nous apprend qu’elles se consacrent en fait presque uniquement à la diffusion d’appareils de mammographie. Dès cet instant, on touche du doigt une des principales fraudes autour du cancer du sein : la confusion – délibérée ?- entre dépistage, c’est-à-dire détection d’une maladie, et prévention, c’est-à-dire empêchement de sa survenue. Au vu des entreprises qui participent à Octobre Rose, dont certaines fabriquent des produits alimentaires, cosmétiques, ou même des voitures, et qui donc contribuent à créer des cancers, on mesure l’odieuse hypocrisie de la situation. Modifier leurs produits auraient un impact infiniment plus grand sur la prévention du cancer, que les quelques dollars qu’elles reversent presque directement aux fabricants de mammographes.
Rachel Campergue en profite pour souligner l’infantilisation humiliante dont sont victimes les femmes lorsqu’il est question du cancer du sein : les malades, submergées de cadeaux promotionnels tels que des crayons de couleur, du maquillage et des peluches, censés les aider à soutenir leur moral ; et toutes les autres femmes, via les incitations mi-paternalistes mi-comminatoires à se soumettre au dépistage. Elle décrypte brillamment les courriers adressés systématiquement aux femmes entre 50 et 70 ans dans les pays où le dépistage généralisé est organisé ; on ne peut pas ne pas remarquer ces affiches un peu partout, puisque les départements sont en charge de ce dépistage, et montrent aux arrêts de bus les femmes « responsables » qui se prêtent docilement à cet examen, financé par le contribuable.
On peut aussi penser à la tentative d’influencer les femmes via les people (cf ma précédente note sur l’allaitement !), avec les photos dénudées de « stars » qui sont supposées définitivement convaincantes. Ou encore cette femme, l’air grave, dont on affirme, qu’en « montrant ses seins », elle a « sauvé sa vie ».
Or, et c’est là que le bât blesse, il n’est malheureusement pas du tout certain que « montrer ses seins » contribue à sauver des vies. C’est la conclusion iconoclaste, dérangeante et finalement inconfortable de chercheurs scandinaves, qui ont calculé qu’il n’y avait pas d’effet positif sur le taux de mortalité générale entre les femmes dépistées et les femmes non dépistées…
Le dépistage, c’est essentiellement la mammographie, examen radiologique des seins, nécessitant de les écraser entre deux plaques, et destiné à repérer des modifications du tissu mammaire susceptibles de signaler une prolifération de cellules malignes. D’emblée, Rachel Campergue souligne que le caractère douloureux de cet examen s’inscrit dans la triste lignée de la maltraitance du corps des femmes par la médecine, et son analogie avec une improbable « testiculographie » qui n’aurait bien sûr jamais pu avoir lieu dans les mêmes conditions, est particulièrement révélatrice. Rachel Campergue, en tant que kinésithérapeute ayant appris que toute zone suspecte de tumeur ou d’infection ne doit pas être massée ou pressée, s’interroge d’ailleurs extrêmement justement sur les effets de cette compression sur un tissu qu’on suspecte d’être cancéreux… C’est manifestement la seule.
Comme dans tous les examens radiologiques, la dose reçue aussi pose question ; elle a été calculée pour un « sein moyen », ce qui implique que les « seins non moyens » ne reçoivent pas la dose « optimale » ; mais, les coups de fil qu’elle a passé en témoignent, les radiologues minimisent drastiquement la réalité des doses reçues, ou le fait que cela puisse poser problème.
Et c’est là un autre aspect fort dérangeant de la mammographie : le risque de cancer radio-induit, d’autant plus grand que la femme qui la passe est jeune (non ménopausée) et pire, prédisposée génétiquement au cancer du sein… Que ceux et celles dont les voix s’élèvent pour réclamer des mammographies de plus en plus précoces s’informent sur cet aspect des choses…
Nouvel élément perturbant, le taux de « cancer », détecté par les mammographies, ne cesse d’augmenter ; on dit « cancer », mais il s’agit en réalité d’ « images » radiologiques jugées non conformes (avec là aussi, Rachel Campergue le documente parfaitement, toutes les imprécisions liées à l’interprétation humaine, entrainant faux positifs et négatifs). Parmi ces images certaines sont de vrais cancers, d’autres des anomalies bénignes, et pour d’autres, enfin, et ceci est démontré par des études qui ont analysé des écarts de temps variables entre deux mammographies successives, des cancers qui régressent tout seuls.
Car ce à quoi conduit finalement la mammographie, c’est à s’interroger sur ce qu’est réellement un cancer, et un cancer qui va tuer son hôtesse. Et cela reste encore très mystérieux pour les médecins. « Dans le doute », toute anomalie détectée par la mammographie et confirmée par la biopsie est traitée comme un cancer, avec les effets secondaires très pénibles des traitements. Et il est clairement établi et reconnu que certaines femmes sont ainsi traitées pour une « pathologie » qui n’aurait pas eu d’effet néfaste sur leur santé.
Au final, Rachel Campergue ne prend pas parti pour ou contre l’examen, elle le démystifie : non, il n’est pas l’assurance absolue anti-cancer du sein, qui nous garantirait, pour peu qu’on le subisse sagement tous les deux ans, de ne jamais mourir de cette maladie ; oui, il a des effets secondaires qu’il est nécessaire de connaître pour faire un choix éclairé, qu’il s’agisse de le subir, ou de s’en passer, les deux attitudes étant justifiables sur le plan médical. Rachel Campergue nous place face à notre propre responsabilité vis-à-vis de notre santé, en tant qu’adulte, en tant qu’humain soumis aux incertitudes de la vie et sa condition de mortel, là où tant d’autres, motivés par leur intérêt financier, tentent de nous infantiliser et de nous déresponsabiliser.
Rachel Campergue ne nie absolument pas le drame que représente la maladie, mais elle ne nous laisse pas être abusées par de fausses promesses, et surtout, elle montre à quel point la véritable lutte contre le cancer du sein, c’est-à-dire contre ses causes (au premier rang desquelles la pollution chimique et les perturbateurs endocriniens), est finalement abandonnée : ce qui constitue le vrai scandale et la vraie offense aux vraies malades.