Mères maternantes, vous ne respectez pas la tradition française !

Dans son récent livre, Le conflit, la femme, la mère[1], Élisabeth Badinter se réjouit de la forte natalité actuelle en France[2], qu’elle attribue à la fidélité des femmes françaises au modèle du 18e s., lorsque les citadines mettaient leurs bébés en nourrice pour mener une vie sociale « brillante »[3].

Elle accuse l’idéologie de la « bonne mère » de remettre au goût du jour la domination masculine naguère tenue à distance par les féministes des années 1970, en faisant retourner à la maison les mères de jeunes enfants, les éloignant du marché du travail seul censé leur donner liberté et indépendance.

Mais les « maternantes » refusent cette vision du monde basée sur le séparatisme : elles veulent à la fois être attentives aux besoins de leur bébé (être allaité, être porté, avoir une réponse à ses pleurs[4]) sans renoncer à leur vie conjugale, amicale, sociale. Les technologies modernes leur permettent d’inventer de nouvelles façons de travailler qui intègrent leurs enfants au lieu de les éloigner.

Les femmes françaises résisteraient donc au maternage grâce à la tradition mondaine française. Élisabeth Badinter se réjouit de la résistance des femmes françaises au modèle de la mère parfaite qui serait en voie d’être imposé par des pédiatres français et américains[5] (pour l’attachment parenting), le gouvernement[6] pour les congés parentaux, l’OMS et La Leche League pour l’allaitement. Le fait que les femmes françaises biberonnent massivement[7], qu’elles ne ressentent pas d’opprobre sociale quand elles reprennent le travail très vite[8], le fait qu’elles travaillent peu à temps partiel[9] s’expliquerait par l’histoire : « Nos aïeules du siècle des Lumières nous ont légué ce modèle peu commun d’une femme émancipée, déchargée des soucis du maternage[10]. »

Tout commence par les femmes de l’aristocratie, suivies par les femmes de la grande bourgeoisie, et, au 18e siècle par « toutes les couches de la société urbaine » – ce qui limite le propos d’Élisabeth Badinter à 10-20 % de la population française, puisque la grande majorité des femmes appartenaient à la paysannerie. « Les femmes (et leurs familles) qui se croyaient au dessus du vulgaire pensaient qu’il était peu glorieux d‘allaiter elles-mêmes, que l’allaitement était aussi ridicule que dégoutant[11] ». « Peu à peu, se débarrasser de son enfant devint une marque de distinction sociale. Les petites bourgeoises […], guère sujettes aux mondanités, s’empressèrent de copier leurs sœurs plus favorisées. À défaut d’une vie sociale brillante, elles pouvaient acquérir ce premier signe d’un statut envié en se débarrassant elles aussi de leurs responsabilités maternelles sur des mercenaires. Mieux valait ne rien faire du tout plutôt que paraître occupée d’objets aussi insignifiants[12] ».

Ayant lieu en parallèle de la montée de l’absolutisme royal, cette soumission au caractère hiérarchisé de la société française de l’époque se fait au prix d’une forte mortalité[13] des bébés.

 

Pour les femmes les plus favorisées, « leur épanouissement se réalise dans la vie mondaine : recevoir et rendre des visites, montrer une nouvelle robe, s’afficher à la promenade, courir aux spectacles[14]. » Pour l’auteure, « Au 18e s, libérée des fardeaux propres à la condition féminine commune, la Française des classes les plus favorisées est avec l’Anglaise la femme la plus libre du monde ». Mais en confondant liberté et frivolité, Élisabeth Badinter met surtout en évidence l’aliénation sociale des femmes huppées de l’époque.

Par une sorte de renversement historique, les femmes les plus cultivées de notre époque ont choisi l’attitude inverse. Ce sont les femmes les plus diplômées qui allaitent le plus. Ces femmes maternantes ne considèrent pas que dépenser de l’argent (biberon, lait, médecin) est un signe de progrès social ni qu’allaiter est « dégoutant[15] » mais simplement que leur bébé en a besoin.

De plus, elles tiennent salon…, non loin de leur enfant, lors des rencontres des associations de soutien entre mères (par exemple La leche league www.lllfrance.org) où elles partagent discussions, informations et échanges. Souvent elles se sont d’abord connues dans ces salons électroniques que sont les forums et les listes de discussion sur Internet : peut-être est-ce ce qu’Élisabeth Badinter qualifie de « véritable guerre idéologique souterraine[16] », menée par la base contre les diktats des publicitaires[17] ?

En effet, il est propre au mode de vie contemporain soumis à la publicité de favoriser la consommation en quantité, alors que le maternage de proximité implique plus de liens[18] et moins de biens[19]. Est-ce en raison de cette potentielle consommation de masse qu’Élisabeth Badinter se réjouit de la « belle natalité française[20] » qui découlerait du caractère « médiocre[21] » du maternage à la française ?

Cette idéologie de la « bonne mère » viendrait contrecarrer le combat féministe des années 1970 contre la domination masculine.

En effet, la domination masculine, que les féministes avaient cru anéantir, reviendrait sournoisement, d’après Élisabeth Badinter, par le « maternage [qui a engendré] une régression de la condition des femmes […]. C’est l’innocent bébé -bien malgré lui- qui est devenu le meilleur allié de la domination masculine[22]. »

 

Dans les statistiques à ce sujet, la domination masculine est mesurée par des calculs de temps passé à des tâches jugées nobles (temps de travail et de loisir) versus des tâches jugées dégradantes (temps consacré aux enfants et à la maison[23]). La statistique n’a aucun égard pour les femmes qui accomplissent ces activités en réfléchissant, en écoutant musique ou radio, ou en étant pleinement satisfaites de la relation permise avec un enfant à l’occasion d’une visite chez le médecin, toutes occasions que rate plus souvent le père.

 

Inversement, le temps passé au travail est unilatéralement valorisé dans ces analyses statistiques, alors que beaucoup de travailleurs n’y trouvent pas toujours leur compte : il s’agit de temps passé au service de leur patron, de leurs clients, pas de temps pour soi (à part une infime minorité). En revanche, la mère qui s’est arrêtée de travailler ou a diminué son temps de travail, retrouve du temps pour ses enfants mais aussi pour elle[24] : cette qualité de temps n’est jamais mesurée par les chiffres.

 

Peut-être devrait-on chercher l’« égalité » dans l’autre sens, en permettant aux pères de passer du temps avec leur famille et en allant vers les valeurs maternantes –il n’y a d’ailleurs pas de terme en français pour « paternant » alors que l’anglais associe les deux parents en parlant d’attachment parenting, qu’on peut adapter en parentage proximal. Ainsi, le jour où les pères pourront prendre un temps partiel sans se faire regarder de travers, ou sans devoir faire en 4 jours le travail de 5 en étant payés 4, on vivra probablement un monde (un peu) meilleur.

 

Contrairement à ce que sous-entend Élisabeth Badinter en tronquant une citation d’Edwige Antier[25], les maternantes sont ravies que l’émergence des « papas poules » des années 1970-1980[26] ait permis de banaliser le fait que le père change les couches ou donne le bain, entre autres occasions de relations père-enfant.

 

Enfin, l’attention donnée au bébé et au jeune enfant n’implique pas un refus du travail en soi par les femmes concernées. Souvent, les maternantes arrêtent un métier prestigieux auquel les a menées un parcours scolaire sans histoire, parce que le temps du maternage leur a fait reconsidérer leurs priorités et affermir leur refus d’un monde du travail marqué par des valeurs masculines soumises à la compétition (« Ils recherchent l’argent, le pouvoir et un statut avec une grande détermination et persévérance[27] »). Nombre d’activités et de métiers émergent de ces nouvelles pratiques, favorisées par les nouvelles technologies et Internet. Ces nouvelles façons de travailler tendent à refuser le séparatisme : les enfants font partie de la vie, ils peuvent ne pas être loin quand le parent travaille.

 

Donc rien à voir avec un « retour au modèle traditionnel[28] », ni une prétendue aspiration à « la sagesse [qui serait] ailleurs, pour ne pas dire hier[29]… »

 

Nous ne vivons pas de façon séparée, voire séparatiste comme semble l’impliquer la vision du monde d’Élisabeth Badinter –à commencer par le titre de son livre, le conflit.

Oui, il s’agit de privilégier l’enfant d’abord, le bébé fragile[30], dépendant et avide de relations.

 

Mais cette proximité avec le bébé n’implique pas de séparation avec le papa ! Les pédopsys craignent que le papa soit exilé en cas de cododo[31], mais cela n’arrive que chez les familles qui ne sont pas allées au bout de leur réflexion de parentage : ce dont a besoin une nouvelle famille n’est pas un lit à barreaux mais un grand lit parental ou plusieurs matelas accolés par terre, ou encore un side-bed pour le bébé.

 

Pas de séparation avec les autres adultes non plus. Les femmes qui pensent avoir des devoirs vis-à-vis de leur petit enfant sont aussi des femmes qui vivent une vie stimulante. Le maternage du bébé est associé à l’ennui par Élisabeth Badinter, qui cite des auteures de romans qui « n’aspirent qu’à retrouver le monde extérieur[32]. » Propos étranges aux oreilles des maternantes qui lisent, pianotent sur leur ordinateur, sortent avec leur bébé, visitent et rendent visite, passent du temps avec leurs amis. L’écharpe et l’allaitement permettent une grande liberté de mouvement.

 

Élisabeth Badinter croit aussi que « L’idéal [maternant est] de faire succéder le tête-à-tête au corps-à-corps[33]. » Voilà une position bien loin du maternage : les parents qui veulent être disponibles pour leur enfant ne centrent néanmoins pas leur vie sur lui[34], et savent que l’enfant ne gagne rien, au contraire, à avoir des parents trop « sur lui », trop inquiets ou contrôlants.

 

Du coup, les maternantes ne se sentent pas dépassées par « l’extension des devoirs maternels » de la fin du 20e s., qui impliqueraient « une attention scrupuleuse au développement psychologique, social et intellectuel de l’enfant[35]. » Elles savent qu’en plus de son besoin de lait et de contact, leur bébé puis enfant aspire surtout à vivre avec son entourage, en observation, imitation, interaction : le bambin mange dans l’assiette de son parent, participe à ses sorties avec d’autres familles et construit ainsi sa vie sociale.

 

Le principal souci des maternantes est finalement surtout de minimiser pour leur enfant les contaminations industrielles (nourriture, couches, eau, air) et de diminuer leurs atteintes à l’environnement (pesticides, couches etc.). Le monde pollué qu’elles vont donner en héritage à leurs enfants les questionne. Les propos ironiques d’Élisabeth Badinter sur l’écologie[36] révèlent d’ailleurs le triomphalisme économique, rationalisateur et industriel des années 1970. Malgré son ton persifleur, Élisabeth Badinter résume assez bien les aspirations d’aujourd’hui : « De la pratique amorale de cette ‘exploitation’ [de la nature], on est à présent sommé de passer à son respect[37]. » Cependant, la conclusion qu’elle en tire de « soumission à la Mère nature », « dont on admire la simplicité et la sagesse[38] » est tâchée d’anthropomorphisme : « soumission » et « admiration » sont propres aux valeurs masculines. Vivre en équilibre avec la nature et son entourage ne relève pas de la soumission mais de l’interaction et de l’ajustement fin.

 

Ainsi, les maternantes qui essaient d’être attentives aux besoins de leur enfant ne se reconnaissent guère dans les caractères maternels que cite Élisabeth Badinter lorsqu’elle parle des années 1970 : « nonchalance », « indifférence[39] », « égoïsme[40] » et presque revendication de l’inattention et de l’irresponsabilité[41]. « Comme sont loin les années soixante-dix où l’on pouvait vivre sa grossesse avec insouciance et légèreté[42] ! »

 

Enfin, le séparatisme d’Élisabeth Badinter provient aussi de la distinction qu’elle fait entre « la femme et la mère » et par son aspiration récurrente à définir une identité féminine[43]. Or on peut vouloir refuser d’être identifié par ce seul attribut et trouver simplificatrices ces tentatives de définition[44].

 

 

La culpabilisation
Au final, Élisabeth Badinter accuse l’idéologie maternante de créer une pression et de culpabiliser les jeunes mères qui font le choix de privilégier leur « vie de femme », quitte à être une « mère médiocre ». Par exemple avec l’allaitement : « Il faut un sacré caractère aux jeunes accouchées pour braver les consignes des infirmières et puéricultrices[45] ». Mais on entend souvent un discours inverse chez les allaitantes[46].

Plus loin, le livre parle des femmes qui se sentiraient rejetées parce qu’elles n’ont pas d’enfant[47], de même qu’on entend aussi des témoignages de femmes qui se sentent rejetées car elles allaitent plus de six mois, dorment avec leur bébé et ne trouvent qu’injonctions à la séparation sur les étals des librairies.

Tout le monde semble chercher l’acceptation pleine et entière de ce qu’il est, comme si en tant qu’enfant on n’avait pas reçu cette affection inconditionnelle de la part de son entourage. Chacun semble vouloir un unilatéralisme des avis des autres et se sent culpabilisé si ça n’est pas le cas.

Ainsi, Élisabeth Badinter dit[48] : « Quelle mère n’éprouvera pas, au minimum, un pincement de culpabilité si elle ne se conforme pas aux lois de la nature ? » Mais si cette mère constate que ses enfants vont bien, qu’elle a une relation satisfaisante avec eux (ce qui n’est en aucun cas l’apanage des mères ayant allaité), où est le problème ? Est-ce pour éviter ce pincement aux jeunes mères et à elle-même qu’elle a écrit ce livre ? Minimise-t’elle les avantages de l’allaitement[49] pour mieux se déculpabiliser de ne pas l’avoir fait ?

 

Élisabeth Badinter semble privilégier la vie loin des enfants au nom de la faible rentabilité affective du temps passé avec ses enfants. « Comment reconnaître que l’on a fait trop de sacrifices pour les bénéfices affectifs et autres qu’on en a tirés ?[50] » Mais peut-être le problème a-t-il été de faire ces sacrifices ? De vivre les relations avec son compagnon, ses enfants, ses amis, son travail sur un mode séparatiste ? Le temps passé ensemble avec don de gentillesse et de confiance inconditionnelle est du temps qui construit du lien durable et qui fait sens.

claudia.renau@gmail.com


[1] Flammarion, février 2010.

[2] Relativement forte par rapport aux autres pays européens. Voir www.ined.fr/fr/pop_chiffres/pays_developpes/indicateurs_fecondite.

[3] Le numéro 454 de Population et sociétés rédigé par Gilles Pison attribue cette augmentation récente au report de la maternité des jeunes femmes des années 1970 et 1980, dont l’âge à la maternité a reculé, jusqu’à 30 ans aujourd’hui pour le premier enfant : pdf en téléchargement là : www.ined.fr/fr/pop_chiffres/france/structure_population/pyramide_ages.

Peut-être d’ailleurs que ce recul de la première naissance à un âge qui a permis de profiter de la vie en célibat favorise le temps du maternage. Voir cet article sur Nancy Huston : www.peripheries.net/article254.html.

[4] Voir Ne pleure plus bébé, Claude Didierjean-Jouveau, Jouvence.

[5] John Bowlby et T. Berry Brazelton, qui ont popularisé la théorie de l’attachement, Edwige Antier en France.

[6] Pour les aides aux femmes qui veulent arrêter de travailler pour rester avec leur bébé, en 1985 et en 2004.

[7] 15 % d’allaitement quand le bébé a deux mois et demi.

[8] Contrairement aux mères allemandes ou japonaises qui ne pourraient pas se le permettre et qui du coup ont peu d’enfants.

[9] Même si l’analyse des chiffres est subjective : « 50 % des mères d’un enfant travaillent à temps plein [ainsi que] 25 % des mères de trois enfants ou plus », page 234.

[10] Page 246.

[11] Page 241.

[12] Page 244.

[13] Page 244-245.

[14] Page 243.

[15] Le refus de ce qui rapproche le corps de l’animal exprime visiblement un malaise. Le dégoût vis-à-vis des sécrétions féminines (sang, lait) est une attitude machiste que le combat féministe a justement permis de dépasser.

[16] Page 251.

[17] Voir les articles de Arrêt sur Image : www.arretsurimages.net/contenu.php?id=2754.

[18] Liens permis par l’allaitement, le cododo –dont le but est surtout de ne pas laisser pleurer le bébé, de prendre au sérieux ses demandes-, parfois la communication par l’élimination (c’est-à-dire la vie sans couches), l’instruction en famille etc.

[19] En reprenant un slogan des décroissants, www.decroissance.org.

[20] Page 233.

[21] Selon le terme d’Élisabeth Badinter.

[22] Page 146.

[23] Ça ne dérange d’ailleurs pas Élisabeth Badinter, les féministes et les mères travailleuses de confier à d’autres femmes ces tâches qu’elles jugent ingrates. Mais si les mères trouvent si pénible de materner leurs propres enfants, pourquoi d’autres femmes trouveraient gratifiant de s’occuper des enfants des autres ?

[24] La réflexion sur soi, la connaissance de soi-même, de ses propres besoins de base étant importants dans la relation avec ses enfants : que ce soit pour les minimiser face à un tout-petit (ou un plus grand) dont les besoins priment ou pour détecter quels sont ses propres besoins importants à affirmer.

[25] Page 149. Le texte original d’Edwige Antier, Éloge des mères, J’ai lu (pages 100-101) ne rejette pas les soins au bébé donnés par le père (néanmoins, la citation de Dolto de cette même page nous parait absurde).

[26] Page148.

[27] Citation page 39.

[28] Page 13.

[29] Page 52.

[30] Elle oublie d’ailleurs la primauté du besoin de l’enfant dans son paragraphe sur l’accouchement à domicile (page 61) : les mères qui préfèrent accoucher à la maison le font souvent avant tout pour protéger le bébé à naître (faciliter sa naissance, lui éviter l’imprégnation de l’analgésie, lui éviter les intrusions hospitalières).

[31] « Rufo redoute que [cette pratique] pousse le père hors du lit conjugal pour l’exiler au salon », page 155.

[32] Page 26.

[33] Page 161.

[34] Voir Le concept du continuum, de Jean Liedloff, Ambre.

[35] Page 171. Par ailleurs, observer et accompagner le développement d’un bébé est passionnant, de nombreux scientifiques ont fait des études prestigieuses là-dessus (Piaget), pourquoi les mères n’auraient-elles pas le droit de trouver ça passionnant aussi, intellectuellement passionnant !

[36] Pages 53-54.

[37] Page 53.

[38] Page 54, et aussi : « L’autorité de la nature est indiscutable » page 105.

[39] Page 248.

[40] Page 141.

[41] Page 247.

[42] Page 101.

[43] Par exemple page 249.

[44] Ainsi, l’on peut se réjouir que : « L’illusion d’un front uni des femmes [ait] volé en éclat, tant leurs intérêts peuvent diverger. De quoi, là aussi, remettre en question la définition d’une identité féminine. »

[45] Page 138.

[46] D’où des manifestations comme la « Grande tétée » – évoquée avec un peu de condescendance page 233 – pour susciter une reconnaissance publique.

[47] Pages 210, 213, 214, 223, 224, notamment en raison de l’idéal de la mère parfaite.

[48] Page 93.

[49] Page 108, 138, 139, 140.

[50] Page 225, page 253 aussi.

Des réactions intéressantes au livre d’Élisabeth Badinter

Plusieurs articles intéressants (notamment de Daniel Schneidermann) dans Arrêt sur image (ASI), réservés désormais aux abonnés : http://www.arretsurimages.net/forum/read.php?4,1044950, http://www.arretsurimages.net/contenu.php?id=2764
Un message intéressant de Viobi http://www.arretsurimages.net/contenu.php?id=2769, intitulé “Une phallocrate à l’antenne”.

Colloque de Chambéry : bases communes et point(s) de divergences

Un colloque très intéressant a eu lieu à Chambéry les 14-15 novembre 2009. Intitulé “Réflexions autour des différents modes d’instruction et de la place de la famille”, il est le premier d’une série, qu’on espère longue, de colloques interrogeant chaque année la “parentalité et les pratiques éducatives”. Il était organisé par Delphine Gazzabin avec les associations ‘Yapock’ et ‘Bien-naitre et grandir’ (http://colloque.parentalite.free.fr).
Un article du quotidien le Dauphiné, paru quelques jours avant, mettait en avant les questionnements que peuvent avoir les parents d’aujourd’hui, concernant les pratiques éducatives et l’école en général. Je ne sais pas s’il y a eu beaucoup de parents “lambda” venus à la suite du Dauphiné, mais si oui, le programme du colloque les a subtilement menés vers une réflexion sur la non-sco…
En effet, les conférences du samedi démarraient tranquillement sur la famille aujourd’hui (Catherine Dumonteil-Kremer qui a notamment raconté ce qu’internet a apporté dans ces réflexions partagées) et les rapports entre les familles et l’école aujourd’hui (basée sur une mauvaise expérience de Josiane Blanc, qui l’a transformée en livre : “Une mère face à l’école”).
L’après-midi a permis d’entendre des réflexions passionnantes sur différentes modalités d’apprentissage : Yves Béal et Frédérique Maiaux ont évoqué leurs pratiques et expériences passées pour “rendre les élèves acteurs de leurs apprentissages” (dans le titre de leur livre, ils auraient préféré “pilotes” au lieu d'”acteurs”), plutôt que d’être écrasés par les jugements et les notes. Jean-Pierre Lepri, qu’on peut lire chaque mois dans une lettre passionnante à laquelle on peut s’abonner en bas de cette page : http://fr.groups.yahoo.com/group/Appvie-crea, a ravi les oreilles des familles en apprentissage autonome en redisant brillamment combien apprendre était naturel, qu’il fallait sortir de la pédagogie (et beaucoup d’autres choses). Patrick Dorpmund a rendu compte des différentes formes d’intelligences multiples, en se basant sur les travaux de Howard Gardner et en nous les faisant comprendre par de petits exercices concrets.
Après un repas servi par un traiteur bio dans la grande salle au dessus, où l’on pouvait voir des exposants variés (livres, matériel pédagogique, jeux de créateurs, associations locales ou non-sco, Led’a était là ainsi que les Plumes de Laia via le stand des éditions l’Instant présent), la soirée a commencé. Chacun était invité à participer à un atelier qui évoquait concrètement les alternatives à l’école classique : les écoles alternatives (Montessori, Steiner), les alternatives dans l’Education nationale (Freinet, GFEN auquel appartient Yves Béal) ainsi que l’apprentissage en réseau et dans le cadre familial, avec un compte-rendu des sorties non-sco en Rhône-Alpes et une discussion passionnante de parents intéressés par l’IEF avec des mamans de Led’a (Les enfants d’abord).
Le dimanche a permis de poursuivre la réflexion sur ‘Apprendre en dehors de l’école’. En l’absence de Elisabeth Walter, retenue à Lille, Delphine a fait une présentation de l’Instruction en famille en France. Puis on a entendu Sylvia Dorance parler des pédagogies alternatives en famille, notamment la pédagogie Freinet qui est celle qu’elle connait le mieux. Expérimentée dans la rédaction en chef de magasines pour enfants, créatrice du site Ecole vivante qui édite des livres électroniques ciblant les parents non-sco, elle nous a paru témoigner du succès de la non-sco en France, puisque un éditeur extérieur au milieu est désormais apparu. J’ai ensuite présenté l’approche de Marlène Martin dans son livre ‘Apprendre à lire en famille’.
Nous avons eu la chance ensuite d’entendre Alan Thomas, qui a poursuivi ses recherches après son travail sur l’entrée en lecture des enfants non-sco, qui nous avait valu quelques belles pages rassurant les parents de lecteurs tardifs. Il dit que ça le passionne d’explorer des terres inexplorées en sciences de l’éducation. Ses observations portent cette fois-ci sur les modalités d'”apprentissage informel”, appelé “unschooling” en Amérique du nord, “apprentissage naturel” en Australie, “apprentissage autonome” en Angleterre, dans un nouveau livre intitulé “How children learn at home”, avec Harriet Pattison (http://howchildrenlearnathome.co.uk). Il a rappelé l’anecdote qu’une maman lui avait racontée. Elle avait demandé à l’inspecteur : que pensez-vous d’un enfant qui à 10 ans et demi lit Roal Dahl et Jules Verne (“très bien, très bien, bon succès de l’IEF”). Mais que dites-vous d’un enfant non-sco qui à 10 ans ne sait pas lire ? (“oh là là”). Eh bien monsieur, c’est le même enfant ! Alan Thomas a étudié les modalités d’acquisition des connaissances lorsqu’elles sont acquises de façon autonome par l’enfant, en interaction avec son entourage.
L’après-midi a été marqué par l’exposé passionnant de Daniel Favre. Il a évoqué son travail de recherche, en compagnie d’enseignants, pour diminuer la violence des élèves, la violence étant “l’ensemble des comportements résultant d’un besoin acquis de rendre l’autre/les autres faibles, inconfortables et impuissants, pour pouvoir soi-même se sentir fort, confortable et puissant” ; qu’il distinguait de l’agressivité, “réaction vitale pour défendre ses besoins”. En très bref, il proposait du plaisir comme antidote à la violence, par le plaisir de résoudre (le cerveau sécrète alors de la dopamine), par le jeu (Piaget : tous les jeux sont apprentissages), par la motivation de sécurisation (pour Winnicott, l’enfant n’est pas capable d’élaborer dans le manque) : http://transformerlaviolencedeseleves.com
Un monsieur aux cheveux blancs et à l’allure (étymologiquement) bonhomme, Carl, a aussi parlé, expliquant pourquoi il avait payé la location du centre de conférence de Chambéry. Eduqué à la maison avec son frère, il était heureux de voir que cette information était partagée lors d’un colloque. Il voulait témoigner de sa réussite (il était l’heureux possesseur d’un garage et d’un site de vente de 4×4 avant de prendre sa retraite) et de celle de son frère, maçon et maire de son village, auprès des parents qui pourraient douter de ce choix.
Le colloque a été riche de toutes ces interventions, mais aussi de toutes les discussions informelles que l’on a pu avoir dans les couloirs, à table, dans les stands. Pour ma part, mise en présence avec tant de pédagogues remarquables qui ont sauvé des centaines d’enfants du manque d’estime de soi, mais confrontée de nouveau à une certaine incompréhension de leur part, j’ai pu préciser où nous divergions. D’autant que finalement j’appartiens aux deux familles, aux non-scolarisants et aux “pédago”, naguère révulsée par l’échec scolaire soigneusement entretenu par le système scolaire et attirée par la “pédagogie de projet” -j’ai découvert après coup que ce que j’avais initié en classe, lorsque j’étais enseignante, pouvait s’appeler ainsi.
Nos fondements sont communs : refus des notes, des jugements, refus de l’école comme matrice des hiérarchies sociales (quoique la pensée magique de l’élitisme républicain puisse vouloir nous le faire oublier), Sylvia Dorance a rappelé ces fondements communs.
Mais j’ai senti ensuite où nous divergions. Suite à ma présentation de Apprendre à lire en famille, on m’a reproché de ne pas avoir assez parlé de motivation de l’enfant : comme c’est la base pour les familles non-scolarisantes, de respecter la motivation des enfants en ne la détruisant pas par des motivations extérieures, je n’ai pas insisté là-dessus tant ce respect nous parait aller de soi. Les pédagogues, eux, s’employant avec énergie et talent de sauver les enfants scolarisés abimés, ont développé des idées et des outils pour remotiver les enfants, rendre les enfants acteurs de leurs apprentissages, mais pour notre part, nous essayons plutôt de ne pas abimer cette motivation.
On nous a reproché, dans notre livre Apprendre à lire en famille, de nous éloigner du sens -qui serait propre à l’approche de Foucambert et Smith- : mais le livre de Marlène Martin est justement en permanence dans l’accès au sens, il évite justement ces défauts des méthodes syllabiques : on lit toujours des mots qui font sens, l’enfant n’annone pas car il comprend ce qu’il lit. Par ailleurs, une famille non-sco est dans l’accès au sens en permanence : sans sens, l’enfant non-sco ne se laissera pas faire, il refusera tout net de faire quelque chose qui ne fait pas sens pour lui.
Une meilleure connaissance de l’apprentissage hors-école, auquel a contribué ce remarquable colloque, permettra probablement à ce que bientôt, il n’y ait point de divergence !
Un DVD vient d’être réalisé pour (re)voir ces interventions passionnantes, on peut le commander pour 20 E sur http://colloque.parentalite.free.fr/commandes.html.