Apprendre à lire simplement

Marlène Martin a été interviewée sur une radio nationale à propos de “Apprendre à lire en famille” – on peut ecouter le podcast ici – et cela m’a donné envie de remettre ce sujet sur le tapis.

Depuis la parution du livre de Marlène, j’observe avec attention que la question de l’apprentissage de la lecture génère chez la plupart des parents des postures un peu crispées, une réaction que je trouve d’ailleurs légitime compte tenu des pressions sociales, même si je suis convaincue que cet apprentissage bénéficierait de plus de souplesse, de joie et même d’insouciance.

Je m’explique :
pour la très grande majorité, l’apprentissage de la lecture est l’étape charnière de l’éducation d’un enfant. Je pense moi-même que lire est une compétence fascinante et potentiellement libératrice, une croyance qui m’a d’ailleurs amenée devenir éditrice 🙂

Cependant, je reste très critique d’une grille de lecture (ah ! ah !) normalisante où le savoir-lire est vu comme plus important que d’autres compétences, à mon avis également fascinantes et libératrices, telles que la capacité à identifier ses émotions, la prise en charge sa propre alimentation et de sa propre santé, la résolution non-violente des problèmes, toutes compétences qui se mettent en place des le plus jeune âge. Pour ceux qui haussent les épaules devant cette liste un peu néo-baba (ou “née à bobo” ?), je pense aussi à d’autres compétences, nettement plus académiques, mais tout aussi essentielles : la discussion critique, le décodage de l’image, la rigueur des démonstrations, l’observation naturaliste, la traduction du monde perceptible en termes mathématiques, le penser/classer, …

Mon propos est donc de remettre la lecture à sa place : c’est une connaissance majeure dans notre société, mais pas la seule, et je ne crois pas que lui attribuer la prépondérance dans la vie de l’enfant soit une approche optimale. Ce que j’ai appris dans “Apprendre à lire en famille”, c’est ça justement : remettre la lecture à sa place, c’est-à-dire dans le quotidien, dans le même éventail des possibles que la liste (incomplète) des compétences du paragraphe précédent.

La lecture n’est ni un terrain réservé aux seuls experts de son apprentissage (posture d’exclusivité scolaire) ni non plus une capacité innée qui ne devrait nécessiter aucune intervention extérieure (posture qui résulte d’une incompréhension de processus cognitifs en général). La réalité, comme toutes les réalités, se situe entre les deux théories extrêmes, avec une belle variabilité tout humaine : certains enfants acquièrent la lecture si facilement et rapidement que cela semble une compétence innée et naturelle, d’autres enfants ont besoin d’un accompagnement plus attentif; certains enfants manifestent très tôt leur intérêt pour l’écrit (bien avant que l’école ne le leur propose), tandis que d’autres enfants ne s’y intéressent que très tard (bien “trop” tard du point de vue des programmes scolaires). Dans tous les cas, il me parait essentiel de ne pas enfermer a priori l’enfant dans une case, mais bien d’être attentif à son développement et de lui proposer une environnement suffisamment riche et serein qui lui permettra de mener son propre apprentissage.

Est-ce qu’il est indispensable d’avoir tout lu, tout compris et tout appris “Apprendre à lire en famille” pour offrir un tel environnement à son enfant ? Non. Croire cela, ce serait retomber dans le travers qui ferait réserver aux experts l’accompagnement de l’enfant. En ce qui me concerne, j’ai trouvé que le livre de Marlène me facilitait incroyablement les choses, tout au bénéfice de mon fils, à qui j’ai pu proposer un environnement détendu et sans attente, parce que moi, parent, j’avais une vision globale et sereine des processus en jeu. Je ne crois pas que ça soit indispensable néanmoins. Pour faire un parallèle, on peut explorer l’alimentation vivante seul, au gré des rencontres, mais lire Valerie Cupillard permet de prémacher (ah ! ah !) le travail.

Est-ce qu’accompagner l’apprentissage de la lecture nécessite de s’assoir a table de façon régulière et de travailler scolairement ? Surtout pas ! Voila l’inquiétude que j’ai remarquée chez beaucoup de parents, scolarisants et non-scolarisants, cette idée qu’il “faudrait” être scolaire pour apprendre à lire, même à la maison. Pourtant, je le vois, ces parents qui craignent de ne pas en faire assez sont bien souvent ceux qui font précisément juste ce qui convient a leur enfant !

Je pense à ce garçon de 6 ans, non scolarisé, qui voulait écrire un panneau “Stop” pour une scène faite en pâte à modeler. Il nous a demandé un modèle, a écrit les lettres sur un papier, a corrigé de lui-même une erreur, a contemplé son travail avec satisfaction, et complété la scène. Il a ensuite, dans la foulée, voulu copier deux mots écrits sur un imprimé, puis est passé à autre chose. L’intervention des adultes s’est réduite à très peu : écrire le modèle à sa demande, lire le résultat quand il l’a montré, constater que les mots copiés disaient la même chose que l’imprimé. Le tout n’a pas duré plus de quelques minutes, a été le résultat d’une démarche venue de l’enfant, mais dans un environnement particulièrement riche et privilégié : l’enfant jouait avec des adultes, il y avait à portée de main du papier et des stylos, il y avait un programme de cinéma qui trainait sur la table, aucun des adultes n’avait d’attente particulière sur ce que l’enfant ferait, ni d’évaluation sur ce qu’il a fait.

Apprendre à lire en famille, il me semble que c’est ça, précisément : être présent, attentif et disponible, aimer lire (ce qui doit être votre cas si vous avez lu ce long post), accueillir sans jugement ce que produit l’enfant, proposer sans attente. Il suffit de quelques minutes, quelques fois par semaine (parfois avec des pauses de plusieurs mois), et bien sur beaucoup d’amour, de confiance et de respect…