Intéressant article ce vendredi dans Elle « Gare aux hyper-mères ? », que signe Danièle Gerkens. Suivant cette tendance qu’a la presse de parler de ce dont parle la presse, il s’agit d’un commentaire français sur la couverture du récent numéro du Times, où l’on voyait une jeune maman, manifestement moderne et épanouie, allaiter son fils de presque 4 ans. Cette couverture a entraîné des débats passionnés aux Etats-Unis, autour de celui qui serait le « nouveau » gourou, le pédiatre pro-attachement parenting, William Sears ( pour les anglophones le site www.askdrsears.com/) .
Je mets « nouveau » entre guillemets, car en France, la Leche League diffuse les superbes ouvrages du Dr Sears depuis au moins 1999, l’année où j’ai acheté Etre parents le jour, la nuit aussi, unique livre francophone disponible à l’époque à traiter lucidement des « problèmes » de sommeil de l’enfant, face à une littérature psychologisante française arc-boutée sur les « données » dépassées de la psychanalyse.
C’est à l’époque peut-être que la presse aurait fait œuvre d’esprit d’investigation en publiant un article à ce sujet !
Peu de chiffres fiables sur ce « phénomène des hyper-mères », nous dit Danièle Gerkens, s’appuyant essentiellement sur le taux d’allaitement, en croissance continue depuis les années 1970. Les femmes qui font ce choix s’appuient certainement plus sur leurs propres connaissances scientifiques, sur leur envie ou leur instinct, que sur « les people qui revendiquent le sein nourricier »…
Danièle Gerkens reprend l’hypothèse explicative de la réaction de ces femmes nées dans les années 1970 à la propre absence de maternage de leurs mères, trop investies dans leurs carrières, notamment régulièrement avancée par l’incontournable Elisabeth Badinter, qui vient d’ailleurs bien entendu donner son opinion dans l’interview qui clôt l’article. Il est probable que cette hypothèse ne résisterait guère à une analyse sociologique sérieuse quant au taux réel de femmes menant de véritables carrières de haut niveau. Il est probable aussi que pour un certain nombre de ces femmes, il y a aussi eu une part de transmission des valeurs maternelles par leur propre mère. Il est certain, surtout, que les mères actuelles ne se définissent pas nécessairement en référence aux mères des années 1970, parce que le monde a changé, quelque difficile que cela soit à intégrer pour les « féministes historiques », parce les mères actuelles ont leur autonomie de pensée et d’action, qu’elles ont des ressources intellectuelles et relationnelles nouvelles –et en premier lieu Internet, dont on ne dira jamais assez la puissance de diffusion d’idées et de modèles innovants, créateurs, anticonformistes, libérés des influences institutionnelles classiques, en l’occurrence les médecins mal informés dont les congrès sont encore de nos jours subventionnés par les fabricants de lait en poudre, et les psychologues et psychanalystes, spécifiquement en France, constitutivement imprégnés d’hypothèses datant de la Vienne patriarcale du début du 20e siècle.
Car bien sûr, ce qui est opposé aux hyper-mères, ce sont ces propos objectivement risibles des tenantes de ce courant : « Allaiter au long cours un enfant qui a déjà des dents, c’est lui demander de réprimer son agressivité, inhiber son désir de mordre le monde, ce qui peut induire des difficultés à grandir » (Maryse Vaillant). Certains bébés ayant des dents dès l’âge de 5 mois, comment comprendre que les autorités officielles de santé française, suivant en cela l’OMS (qui représentant l’ensemble des communautés médicales du monde, est sans doute détachée des références théoriques de Madame Vaillant) recommandent l’allaitement jusqu’à 2 ans, au risque d’induire des difficultés à grandir ? Ou peut-être que ce risque est purement imaginaire ? On pourrait même retourner cette assertion boiteuse, puisque réprimer son agressivité peut aussi sembler un objectif souhaitable, comme ne cessent de nous le montrer tant de terribles exemples dans le monde. L’indispensablement citée Claude Halmos avance à nouveau son unique argument à ce sujet : « Allaiter au long cours et dormir avec son enfant, c’est brouiller les repères et perturber les étapes de sa construction psychique. ». Nous attendons toujours les recherches scientifiques sérieuses qui viendraient à l’appui de cette affirmation, puisque nous n’avons pas, nous, la prétention d’élever au rang de vérité les pourtant innombrables exemples dans nos familles et nos entourages d’enfants « allaités au long cours et ayant dormi avec leurs parents » dont « la construction psychique » semble satisfaisante. Un espoir cependant pour Madame Halmos, les enfants dans ce cas étant de plus en plus nombreux, ces études pourront bientôt être menées de façon fiable, et conduiront sans doute à renforcer – plus qu’à redéfinir, car de nombreuses théories alternatives actuelles fécondes existent déjà, seulement elles restent encore trop souvent inexplicablement bloquées aux frontières françaises – une conception « des étapes de la construction psychique » ne s’appuyant pas sur des hypothèses datant d’un siècle.
l'hyper-père, compagnon de l'hyper-mère
Merci enfin à Danièle Gerkens de ne pas donner le dernier mot à ces menaces archaïques, et d’inviter plutôt à voir dans ce maternage assumé « les prémices d’une nouvelle voie », qu’empruntent, chacune à leur façon, avec le père de leurs enfants, avec ce qu’elles sont, dans les joies et les difficultés de la vie réelle, « les femmes indépendantes, rétives à toutes les injonctions et à toutes les normes, bien décidées à inventer leur propre définition d’une maternité épanouie ».
Marlène Martin.